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Le texte de Virginie Despentes, "Cher Guillaume", Le Monde, 31 mai 2013
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Guillaume Dustan [1965-2005] Parce que je suis : libre, France Culture
Guillaume Dustan, écrivain de la transgression, France Culture
Journée d’étude - Université Paris-Diderot - mardi 28 mai 2019
« Cher Guillaume,
(...) Ce mois-ci, tes trois premiers romans sont réédités en un premier tome, chez POL. C’est un beau volume, épais, tu serais content, ça a de l’allure. Bon, pour le grand couronnement, Guillaume, je crains qu’il faille attendre un peu. L’époque n’est pas à la glorification de la baise pédé, du mauvais esprit et de la militance gay. Tu es mort depuis presque huit ans. Tu ne ressemblais pas à un écrivain français. Tu étais beau, dangereux, drogué, séducteur, ta voix était à tomber par terre de sexy. Une drôle de grimace remontait ta bouche d’un côté quand tu souriais et on ne savait pas trop si tu étais doux ou teigneux, fort ou désespéré. Tu étais excitant. Tes romans te ressemblent. C’est un plaisir de te retrouver.
À très vite, V. »
Virginie Despentes, Cher Guillaume, Le Monde des livres, 31 mai 2013
« En attendant, moi, je constate que sur ce que je racontais à qui voulait l'entendre dès 1997-1999 (merci Technikart que n'en pensait déjà pas loin), j'ai eu raison sur tous les sujets lourds, le dopage -même si c'est encore soit-disant en débat -, le sexe, les Arabes et les pédés et les clubbeurs, seules forces sociales motrices dans ce pays qui refusaient le présent, la lutte antiennes, la prétendue gauche prête à tout pour durer même dans les années quatre vingt dix et donc à rester aux basques électorales de la fonction publique réactionnaire sclérosée qui pèse économiquement sur le pays et le décourage et n'est pas au service du public mais contre lui, la French touch qui est nulle, l'auto fiction, le quel devenu la religion alternative dans le monde entier, la drogue, dont la consommation modérée est pratiquement tolérée, l'intelligentsia homo et socialiste qui bloquait tout, ça doit être pour ça qu'on m'a remercié. »
Guillaume Dustan, Premier essai
« Ça fait bien quatre ans. Je l'ai rencontré par minitel. Il est venu rue de Bellefond. On s'est baisé (safe) et godé réciproquement en s'embrassant un max, c'était chaud, et puis quand je l'ai refait il était nettement plus passif, limite maso. En fait c'est moi qui l'avais poussé dans ce trip en la jouant macho dominateur, mais le résultat c'est que je m'étais senti seul.
Son visage s'ouvre. - Aaaah! T'es à Paris en ce moment ?, il fait. - Je suis rentré définitivement, je dis. - C'est toi qui as écrit un bouquin, il reprend. On en a parlé avec David, celui que tu appelles le Doc, on était en vacances ensemble l'été dernier. Ça a marché? - Ouais, je réponds, pas mal, trois mille». - Ouais, c'est pas mal, il fait. - Et toi ça va?, je dis. -Ouais, il fait.
Il y a quatre ans, il flippait pas mal sur ses T4.
Tu es de plus en plus hype, je fais.- Quoi ? (la musique est hyper-forte). Je répète, - Hype! Il n'a toujours pas compris. - Hype! Là il a compris. Il hausse les épaules avec un petit sourire. »
Guillaume Dustan, Je sors ce soir
« Je retourne danser. Et là, au bout de quelques minutes, je sens enfin que ça démarre. Je ralentis pour mieux sentir ce qui m'arrive : la détente musculaire, la chaleur, la respiration plus profonde. Ma colonne vertébrale se redresse toute seule. C'est cool. Et puis tout d'un coup ça part en flèche et J'ai envie de gerber mais je me calme en respirant tout doucement, sans bouger, et ça passe. Je ne gerbe plus jamais maintenant quand je prends de l'exta. Je maîtrise.
Et voilà le plus agréable : je me mets à sourire, d'un sourire que je ne peux pas empêcher, que je n'ai d'ailleurs pas la moindre envie d'empêcher, parce que je suis réellement content. Je me sens tellement bien. Je me retiens quand même un peu, on n'est pas à Londres. La dernière fois au Queen les mecs des chiottes faisaient carrément la gueule quand j'allais boire de l'eau, c'est vraiment ridicule.
Ça sent le pétard. Les musclemen à côté de moi sont en train d'en fumer un. Les choses ont tout de même beaucoup change en dix ans. Avant on ne fumait pas ouvertement comme ça en boîte. On va vers la légalisation c'est clair.
Bon ben voilà, j'ai chaud, je suis cool, alors j'enlève ma chemise et je m'amuse avec mon corps. Wou, wou, wou, je fais la moulinette avec les mains. Il y a encore plein de monde, donc je ne peux pas faire vraiment tout ce que j’aimerais, comme sauter en l'air ou marcher comme un canard, ou faire Linda Evangelista TM, ou rouler à mort du cul, ou faire semblant de baiser un cul imaginaire, mais ce n'est pas grave je suis content quand même.
Au moment où je commence à me dire que j'ai sérieusement soif et qu'il faudrait que j’aille boire, Tom passe à ma hauteur et me tend sa Corona. Ma bière préférée ! Je rêve... Je bois une gorgée et je la lui rends. On danse un peu l'un à côté de l'autre. Sourires. Je pense qu'il a dû gober lui aussi mais j'ai la flemme d'aller regarder ses pupilles pour en être sûr. En fait je m'en fous. »
Guillaume Dustan, Je sors ce soir
« -Veillons donc à être plus sages. Renonçons aux excès, au piètre libre arbitre. Pardon pour le bareback, qui nous coûta si cher. Pardon pour mes ardeurs. Pardon pour ma colère. Pardon pour ma jeunesse. Fermons-les, les backrooms gais, les saunas gais, les clubs échangistes. Puisque ce qui choque, ce n’est pas la maladie, le risque d’attraper la vérole. Ce qui choque, c’est la sexualité qui dépasse les bornes de la vie privée. Sortir de la maison. La sexualité qui ne peut pas être contrôlée par les voisins. Fermons tout ça. »
Guillaume Dustan, Premier Essai